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Première partie.
En tant qu’enseignante de français, on me pose régulièrement cette question, parfois dans un soupir de frustration ou, au mieux (1), dans un rire empreint de compassion pour nous autres pauvres francophones qui avons inventé une écriture tordue et illogique avec laquelle nous nous flagellons (2) tous les jours.
En effet, avec ses règles à n’en plus finir, ses lettres muettes (3), ses bizarreries, ses incohérences voire absurdités (4), l’orthographe française n’est certainement pas un cadeau pour les apprenants du français ni pour ses locuteurs natifs.
La complexité de notre orthographe est telle que certains points (5), comme l’accord du participe passé, ne sont maitrisés que par une poignée de spécialistes :
“L’accord du participe passé est très difficile à maitriser, car il est rare et généralement inaudible, fondé sur des règles artificielles d’un autre temps et il nécessite des connaissances que seul·es quelques spécialistes de la langue possèdent.”
(Source : https://www.tract-linguistes.org/les-regles-daccord-du-participe-passe-des-zombies-chimeriques/).
Mais comment en est-on arrivés là ?
Un peu d'histoire
On situe la naissance du français vers le IX ème siècle. Dans un premier temps, la graphie est proche de la prononciation de l’époque. Ainsi, comme en italien ou en espagnol, on prononçait à peu près toutes les lettres qu'on lisait. On entendait les consonnes finales ainsi que les e en fin de mot. Le mot chat se prononçait [tchat] ; l’impératif chante se prononçait [tchantè] où l’on entendant distinctement le a et le n. Le c devant le i ou le e se prononçait [ts], ainsi place se prononçait [platse] avec un e comme dans chemin.
Dès le XI ème siècle, le français connait une évolution dans sa prononciation mais ces changements ne seront malheureusement pas transcrits. Par exemple, ai ne se prononce plus [ai], où l’on entend les deux voyelles a et i, mais [è] comme dans anglais. Le diphtongue oi, prononcé [oi], suit une longue évolution : il devient [oé], puis [oè], [wé] avant d’aboutir à [wa] comme dans froid.
Toutefois, dans certains contextes, le graphème oi va évoluer différemment et va se prononcer, non pas [wa] comme dans roi mais [è], malheureusement transcrit par les lettres ai. Ainsi, les deux écritures françois et français vont longtemps être en concurrence avant que la dernière ne l’emporte. C’est également le cas des verbes connaitre, paraitre (anciennement conoistre, paroistre) et de l’adjectif raide (anciennement roide).
Par ailleurs, ce phénomène phonétique est probablement à l’origine de l’orthographe, pour le moins surprenante, du mot poêle prononcé donc [pwal] qui s’écrivait poile au XIV ème siècle. Il semblerait qu’au moment où la prononciation des lettres oi évoluent, et se prononcent [oè], on ait changé l’orthographe de ce mot pour le rapprocher de sa prononciation effective.
Pourquoi celui-là et pas d’autres ? Mystère.
Une autre évolution notable concerne le s dans teste et asne que l’on entend plus. À la place, on marque simplement une longueur à l’oral qui sera transcrite au XVIII ème siècle par un accent circonflexe. C'est également le cas de fête, tête, château, hôtel, etc.
Au XVI ème siècle, on cesse de prononcer le s du pluriel, le r des infinitifs, et le t de petit, entre autres changements.
Ainsi, l'une des raisons principales de la complexité de l'orthographe française est un décalage progressif et continu entre la prononciation et l'écrit. Mais ce n'est pas la seule raison, loin de là.
En effet, lorsque l’on se penche sur l’histoire de l’orthographe française, il est fou de constater que son illogisme est délibéré, autrement dit VO-LON-TAIRE !
Incroyable, non ?
Je vous en dis plus la semaine prochaine.
- au mieux : dans le meilleurs des cas
- nous nous flagellons : nous nous battons à coups de fouet
- ses lettres muettes : ses lettres silencieuses
- voire absurdités : et même des absurdités
- La complexité de notre orthographe est telle que certains points : notre orthographe est tellement compliquée que certains points
